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La Vieille dame et le Morbol

Il était une fois, une douairière qui s'ennuyait. Son maris décédé, elle n'avait plus les moyens d'entretenir les domestiques, et ses petits enfants oubliaient de la visiter. Cette grand-mère était seule, et regrettait de ne plus être entourée. :( Elle avait songé à devenir une mamie-chat, mais craignait d'abandonner la meute, lorsque la mort l'emporterait. Par ailleurs, les chiens la terrifiait, à cause de sordides histoires lues dans le journal, où la bête attaquait au mollet... Mais elle s'ennuyait... Alors elle attrapa sa canne pour faire le tour du quartier. Ses jambes fatiguées, elle dû s’asseoir, reprendre son souffle. Sur le trottoir d'en face, un jeune fleuriste aspergeait de son humidificateur, les pétales de l'étalage épanouie. Les vieilles gens comme moi n'ont plus rien à faire avec les jouvenceaux... Pensât-elle. Lui revint mélancoliquement, l'époque où elle les faisaient tous chavirer. En clignant des yeux, elle se rendit compte qu'une heure s'était écoulée, et se décida à pénétrer la boutique.

 

Une douce fragrance florale embaumait l'air. Comme dans un rêve, le bouquetier lui adressa la parole. Elle était aux anges, et c'est avec beaucoup d'émotions qu'elle lui demanda conseil. Il lui présenta ses plus somptueux assemblages, qu'elle dédaigna. La tige coupée, immanquablement les fleurs fanaient, lui rappelant son âge avancé :( Les cactus piquaient et les plantes empotées seraient trop lourdes sur le chemin du retour... Rien ne correspondait ! En vérité, elle faisait la difficile pour passer un peu plus de temps avec le charmant jeune homme. D'une patience constante, celui-ci la mena jusqu'en arrière boutique pour lui présenter les plus ravissantes pousses qu'elle n'avait jamais vue, mais qui n'étaient pas encore à vendre... Vint l'heure de la fermeture, et le fleuriste la raccompagna en lui offrant une graine dont il ignorait la provenance. Ainsi pourrait-elle la transporter, et s'occuper ! Sur le chemin du retour, elle se sentait aussi fringante qu'avant la retraite :) Ce soir là, elle mit le tricot de côté pour s'occuper de la graine, prit un jolie vase qu'elle combla de la terre du compost, enfonça son index dans l'humus et y déposa la graine qu'elle recouvrit délicatement, avant de l'arroser de quelques gouttes. Enfin, notre mamie se coucha avec la satisfaction d'entendre au creux de ses rêves, le beau fleuriste lui murmurer les secrets du pistil...

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Au petit matin, la plante avait germée. Une menue pousse chouchou ! La vieille dame fut si contente, qu'elle entreprit de lui parler toute la matinée pour l'inciter à accélérer sa croissance. Elle l'entoura avec tant d'amour, que le soir même, une première feuille s'était montrée ! Au second réveil, elle courut (presque, hein ?) inspecter sa nouvelle locataire, qui avait doublée de volume ! Trois feuilles ! Quelle vivacité ! Elle en fut tant émut, qu'elle trottina (presque, hein ?) jusque chez le fleuriste pour lui conter les exploits de sa protégée. Mais c'était dimanche, jour du congé, et elle se trouva un peu bête de vouloir l'entretenir sur un fait aussi anodin. Au retour, deux minuscules tiges s'étaient formées. Les jours qui suivirent, la plante continua sa croissance prodigieuse, sous le regard admiratif de la vieille dame, qui passait le plus clair de son temps à la choyer, en bouclant le printemps de Vivaldi, sur un vinyle de collection. Tant et si bien que la plante avait désormais plusieurs branches semblables à des lianes, et qu'une multitude de fines feuilles l'ornementait à merveille. Vint le moment, où il fallut rempoter. Le vase devenu trop petit, la plante perdait en vigueur, et les bourgeons refusaient de s'ouvrir... Canne en main, elle s'enquit auprès du fleuriste pour venir procéder. Celui-ci, très occupé dans la préparation de la Saint-Valentin, lui vendit une petite pelle avec un sécateur, sous couvert de quelques vagues conseils. Elle se décida de transférer la plante dans... le compost ! Là, le terreaux serait riche. Avec milles précautions, elle déracina son bébé pour lui offrir le territoire, puis versa deux cruches pleines, afin se faire pardonner du stress engendré.

Le lendemain, une belle fleur turquoise été éclose. Elle dégageait une odeur semblable à la peau d'un homme après l'amour. L’excitation de la vieille dame fut de courte durée, car elle reçut par la poste, l'annonce d'un nouvel enterrement... Il lui faudrait s'absenter quelques jours, et ne pourrait plus l'arroser. Elle demanda de l'aide au voisin qui claqua sa porte car il n'avait « pas la main verte. » La mort dans l'âme, elle se résigna à laisser se déshydrater cette première fleur... Ainsi passa une semaine. A son retour, quelques chose clochait... La porte refusait d'ouvrir ! Il lui fallut tout son poids pour entendre un craquement, et atterrir tête la première dans le vestibule. Une épaisse racine coinçant l'ouverture, s'était cassée... Puis elle vit le salon envahit, dévasté. Des lianes courraient sur le sol, et remontaient le long des meubles. Des dizaines de fleurs ouvertes, dégageaient désormais l'odeur d'une équipe de rugby en fin de match. Le buisson des feuilles allait jusqu'à la cuisine, où la plante était mystérieusement parvenue à ouvrir le robinet... C'est donc ça... Tu avais soif ! Compris la vieille dame. Elle lui servit quatre cruches, abasourdie par la formidable dimension de sa plante chérie.

 

L'aube suivante, voulant ouvrir les volets derrière la jungle, la mamie tira sur les lianes et découvrit les battants arrachés de leurs gonds ! Les feuilles s’accaparaient la lumière sans partage... Nerveuse, elle se remit au tricot, barguignant sur l'élagage de sa copine végétale. Bien que sa vue soit toujours bonne, les branches semblaient se déplacer, et les fleurs lui donnaient la nausée sans qu'elle ne puisse s'y habituer. A la cuisine, un des stolons s'était faufilée dans le robinet, envahissant les canalisations. Voilà la liane qui fait déborder le vase ! Elle attrapa le sécateur et passa la journée à entreprendre une taille sérieuse. Au point que ses mains arthritiques lui firent atrocement mal, et qu'elle dût abandonner pour se passer une pommade rajeunissante. Pendant la nuit, notre mamie se tourna et se retourna, dans un trouble hypnagogique. Ses connaissances en horticulture se limitaient à distinguer le lilas du jasmin. Toutefois, elle n'avait jamais entendue parler d'une plante qui puisse ouvrir les robinets, et sa mémoire fléchissante ne pouvait en être la cause. Malgré toute sa dévotion pour la plante fétiche, elle devrait la retirer du compost et la contraindre à réintégrer le vase, afin qu'elle redevienne sa petite pou-pousse adorée.

 

A peine eut-elle formée cette pensée, qu'elle sentit une liane remonter le long du lit, lui immobiliser les chevilles, tandis qu’une autre se décrocha du plafond en atterrissant sur le coussin d'à côté en l'enserrant pour tenter de l'étrangler. Elle se débattit avec toute la force de ses jambes affaiblies. La liane à ses guibolles maintenait la pression, et le boa végétal se releva pour mieux localiser sa proie. Un brusque accès lui permit de se dégager, puis d'allumer la lampe de chevet. Elle vit avec horreur, une dizaine de stolons ramper vers sa direction, en remorquant le bac du compost, jusque dans sa chambre. Les fleurs s'ouvraient et se fermaient comme des mandibules, et les feuilles s'étaient durcies, tel des rasoirs affûtés. Elle se cacha contre la commode en se signant. Les lianes serrèrent le sommier si fort, que les lattes se rompirent en plusieurs points. Lorsque la monstrueuse plante eu passée l'embrasure, elle se précipita au dehors, et s'empara du sécateur. Les lianes se retournèrent et serpentèrent dans le salon, mais voulant aller trop vite, le compost se renversa, et la mamie se retrouva face à deux rangées de dents dégoulinantes de sèves qui rugirent sauvagement...

 

Notre vieille dame se sentit défaillir, et préféra s'enfuir en chemise de nuit jusque chez le fleuriste, où elle fit un tel tapage que le brave garçon descendit lui porter secours, avec sa tronçonneuse électrique. Il n’eut aucun mal à se débarrasser du morbol mutant, et tout rentra dans l'ordre. Par la suite, ils lièrent une relation courtoise. Le fleuriste passait chaque mois lui apporter des ornements floraux, et boire du thé en sa compagnie, au grand ravissement de notre esseulée.

 

Et vous ? Jusqu'où accepteriez vous de laisser une passion envahir votre vie ?

 

Dorian Clair | 2020-03

Morbol par Poopss.png

Morbol, créature de Final Fantasy | FanArt de Poopss

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